A l'Atelier des Fontaines

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"Work in progress 2" : quelques possibilités de la technique mixte ; reprise après séchage



Comme promis, voici notre deuxième séance de "Work in progress".

Médium fraîchement posé


Mais, auparavant, nous allons illustrer ce que nous disions concernant l'éclaircissement du médium exposé à la lumière.





Médium après séchage
et exposition à la lumière diffuse

Après environ deux semaines de séchage et exposition en lumière diffuse, on peut remarquer la teinte remarquablement pâle du médium. Le ton doré a presque disparu, seulement discernable dans les empâtements de fortes épaisseurs. Ce phénomène est caractéristique des huiles cuites en présence d'oxydes métalliques spécifiques. Il ne faut donc pas craindre la teinte sombre que ces huiles peuvent afficher en fin de cuisson. Cette coloration ne perdure pas dès lors qu'on les expose à la lumière.

On notera aussi la persistance du brillant, et l'absence totale de craquelures ou plissement. En effet, les oxydes métalliques utilisés lors de la cuisson favorisent une siccativation en profondeur du médium, évitant l'effet "chausson aux pommes", c'est-à-dire la formation d'une pellicule sèche en surface bloquant le séchage en profondeur, ce qui amène inévitablement des accidents de siccativation.

Reprise après séchage :  Le travail avec le médium gras


Etat de notre travail en fin de première séance


A la fin de notre première séance, nous en étions arrivés au résultat ci-contre.

Fidèle au principe de la technique mixte, si nous désirons aller plus loin, nous allons donc reprendre par le travail au médium gras.

















Mats et brillants : un aspect hétérogène
A noter que, en lumière frisante, certaines zones sont demeurées brillantes, principalement les parties sombres ou intensément colorées, travaillées au médium. D'autres ont pris une apparence plus satinée, voire mate, essentiellement les clairs, travaillés à l'émulsion.

Contrairement au phénomène fort courant d'embus, lorsque l'on travaille à l'huile pure, ou même à l'huile et au vernis, ici, cet aspect hétérogène n'est pas le résultat d'un accident de siccativation. Au contraire, il traduit tout naturellement le fait que les différentes parties du tableau n'ont pas été travaillées avec un liant de même nature, caractéristique typique de la technique mixte, qui fait sa richesse, la variété de sa facture et son originalité.

Passage du vernis à retoucher
Le passage d'un vernis à retoucher constitué, comme lors de notre première séance, d'un mélange d'un volume de médium gras pour six volumes d'essence de térébenthine va réunifier l'aspect du tableau et, surtout, éviter la superposition non désirée d'une touche d'émulsion maigre sur une première couche de médium gras déjà sèche. En effet, et c'est là la seule limite de la technique mixte, l'adhérence pourrait être médiocre.

A noter que, sur une œuvre de plus grande taille, il serait fort possible de ne passer le vernis à retoucher que sur la partie de la surface peinte que l'on souhaiterait retravailler. De même, si l'on est sûr de ne pas être amené à superposer l'émulsion sur une partie travaillée au médium, et déjà sèche, le vernis à retoucher n'est pas du tout indispensable. Le travail à sec permet, en effet, d'obtenir encore d'autres effets, en particulier des frottis et des vélatures très minces.


Zone d'empâtements
en fin de première séance



Nous poursuivons donc notre travail par la pose d'un glacis d'ocre jaune au médium gras dilué (un volume de médium pour trois volumes de térébenthine) sur une zone d'empâtements.

Pose d'un glacis épais

Allègement du glacis

Ce glacis peut être redoublé, épaissi, pour en accentuer la coloration ou, au contraire, allégé à la brosse sèche ou au chiffon, et ce, durant toute la séance de travail. Aucune difficulté : le médium ne coule pas, comme il le ferait avec une pâte diluée uniquement à l'huile et/ou à l'essence. Mais il ne colle pas non plus, peu après sa pose, comme cela se produit souvent avec un médium du commerce à l'huile et au vernis. Ici, du fait de sa  thixotropie, le médium se fige au repos, mais peut être remobilisé, aussitôt si on le souhaite, mais aussi jusqu'à quelques heures plus tard, si besoin, en toute fin de séance. Le lendemain, la couche peinte sera prise et, bien souvent, quasiment sèche.


Diversification du glacis
Il est encore possible de varier la coloration du glacis. Ici, comme durant la première séance, nous poursuivons notre travail avec de l'ocre rouge et un bleu phtalocyanine. Avec très peu de moyens et une extrême facilité, sans aucun mélange sur la palette, on peut ainsi obtenir une très grande variété de valeurs, plus ou moins claires ou foncées, et de colorations. Par ailleurs, le médium se logeant différemment dans les creux ou les rehauts des empâtements, la pose de glacis en fait ressortir la richesse, procédé typique d'un peintre comme Rembrandt.

Zone de glacis
en fin de première séance


Nous travaillons maintenant au médium gras, toujours dilué, mais sur une zone déjà traitée par des glacis lors de la première séance. Notre but : approfondir cette partie essentiellement destinée à traduire l'ombre.



 
Approfondissement d'une zone d'ombre

Nous posons à la brosse un glacis gras de bleu phtalocyanine. Comme toujours avec notre médium thixotrope, toutes les traces de l'outil restent visibles, mais elles pourraient être fondues, si nous le souhaitions.

Notez la transparence de notre glacis au médium. Non seulement les glacis posés lors de la première séance restent visibles, mais encore le dessin originel au fusain (trace oblique, en bas à droite). En matière de technique, pour un connaisseur, l'examen attentif du film pictural est donc passionnant : nul besoin de rayons X ; le travail de superposition des différentes couches picturales demeure visible à l'œil nu.







Enfoncement d'une zone d'ombre par des glacis gras successifs

Pour employer le langage de Turquet de Mayerne, médecin du XVIIème siècle, ami et observateur attentif du travail de Rubens, nous continuons à "enfoncer" notre zone d'ombre en redoublant notre glacis bleu. Le travail par glacis transparents permet ainsi, réellement, d'accéder à la troisième dimension picturale.

Toujours selon de Mayerne, une zone peut, en effet, être "rehaussée", c'est-à-dire mise en avant, ou, à l'inverse, "enfoncée" dans "l'épaisseur" du support selon la manière dont elle est traitée. Le tableau ne se travaille donc plus seulement par juxtaposition de touches opaques, à la manière impressionniste, mais par superpositions translucides ou transparentes, comme ce fut le cas depuis les débuts du renouveau flamand né, le prétend la tradition, des recherches sur la technique de l'huile par les frères Van Eyck durant le XVème siècle.

Pose de vélatures au médium, clair sur foncé

On pense généralement qu'un glacis consiste en la superposition d'une couche transparente foncée sur une couche opaque plus claire. Cela est vrai dans la majorité des cas. Mais il est possible de procéder différemment. Ici, nous avons brossé au médium, toujours dilué, des glacis avec des ocres jaune et rouge, plus clairs que le fond précédemment posé en bleu. Il en résulte des effets d'opalescence translucide.

Le jeu de superpositions se poursuit, toujours "à facture ouverte", à la manière des esquisses de Rubens : les dessous demeurent en permanence parfaitement visibles.  



Effacement ; retour arrière
Nous aurions pu en rester là. Cette zone paraissait "sympathique" à l'œil. Nous rappelons, cependant, que nous ne prétendons pas ici faire œuvre d'art. Il ne s'agit que d'une simple démonstration technique.

Alors, pas de sentiment ! Un simple coup de chiffon, sans même de diluant ! Et nous retrouvons notre zone vierge, comme lors de la reprise en deuxième séance.

C'est aussi cela l'avantage de travailler avec un médium aussi polyvalent. Ni collant, comme un médium basique à l'huile et au vernis, ni prématurément sec, comme par exemple l'acrylique, il peut être ôté durant toute la séance de travail. Corriger est donc un jeu d'enfant ! Il n'y a plus à hésiter : l'audace devient la règle. L'erreur est admise : elle fait partie intégralement du processus de création artistique.


Pose de glacis à la truelle à peindre


Changement d'outil, donc, et de consistance du médium. Nous décidons de repartir avec un produit non dilué et de le travailler à la truelle à peindre, outil affectionné par un Courbet, entre autres.




Transparence, translucidité et opacité
Et, comme précédemment, nous posons de nouveau, et aussitôt, des touches d'ocre jaune, plus ou moins épaisses, toujours au médium non dilué. On peut observer ici que, selon l'épaisseur de la touche et la quantité de médium ajouté, toutes les gradations et variations de matière sont possibles :  depuis la plus grande transparence et profondeur (touches de bleu en haut à droite) en passant par la translucidité (touches d'ocre jaune en bas à gauche et à droite), jusqu'à la quasi opacité (touches d'ocre au milieu sur le bord droit).

Il ne faut donc pas croire que la technique mixte se résume à la succession mécanique, fade et monotone d'une couche de médium gras, suivie aussitôt d'une reprise dans le frais à l'émulsion maigre. Avec un médium et une émulsion bien réglés, le peintre peut travailler aussi longtemps qu'il le souhaite chacune de ces deux phases. 



Jeu de glacis à la brosse
ou à la truelle à peindre


Nos glacis précédents, posés à la truelle, nous ont paru un peu lourds... Aucun problème ! Nouveau coup de chiffon et nous reprenons le travail avec plus de légèreté. 





Glacis et empâtements
en fin de première séance


Glacis posés à la brosse


Même procédure sur une nouvelle zone.

Glacis fondus à la brosse sèche




Pose de nouveaux glacis





Glacis superposés sur un empâtement (détail)




Contraste clair/sombre posé
lors de la première séance





Un glacis peut encore permettre de modifier un dessous tout en préservant son existence, ou encore de donner une certaine unité à une zone considérée comme trop contrastée, voire discordante. Pour ce faire, il n'est pas besoin de produire des tons multiples, comme on le ferait avec des pâtes opaques. Un simple film coloré, posé en transparence et modulé en épaisseur, et le tour est joué !


Modifier, unifier un dessous
tout en le préservant


La technique mixte permet ainsi d'opérer avec facilité des modifications qui peuvent être importantes tout en bénéficiant de dessous déjà travaillés.

C'est le principe même de l'exécution en plusieurs étapes. Il faut savoir garder ce qui est considéré comme réussi dans les étapes précédentes pour n'avoir qu'à le modifier dans les étapes suivantes. Pour ce faire, le travail en transparence, par glacis, est idéal.

Certains peintres - citons Claude Yvel - procèdent ainsi selon une succession d'étapes qui anticipent parfaitement la réalisation future. Mais il est possible, selon son tempérament, de travailler fort différemment, par improvisation. Cette manière de peindre, "à l'inspiration", très répandue aujourd'hui parmi les peintres, peut amener des problèmes sérieux avec une technique uniquement "gras sur maigre". En effet, parvenu à un certain point, il n'est plus possible de peindre plus gras, à moins de peindre quasiment à l'huile pure !

Avec la technique mixte, du fait de l'alternance constante entre le médium gras et l'émulsion maigre, cette limite technique n'existe plus. Titien écrit ainsi avoir superposé jusqu'à quarante couches de couleur ! Et l'on connaît les capacités d'improvisation du peintre vénitien, inventeur de la technique moderne à l'huile !


Empâtement transparent au médium gras
Toujours à la truelle à peindre, nous poursuivons l'enrichissement de la matière picturale.

Notez que nous n'avons toujours pas changé de pigments. Nous opérons depuis le début de notre travail avec seulement une ocre jaune, une ocre rouge et un bleu phtalocyanine. Pourtant, les tons obtenus présentent une grande variété et une saturation que l'on attendrait de pigments beaucoup plus onéreux.

Cette remarquable saturation résulte de la très grande transparence du médium qui, provoquant un "éloignement" des particules colorées les unes des autres, permet à la lumière de pénétrer profondément la couche picturale.

Jeu d'empâtements transparents au médium gras


Notez aussi que, toujours du fait de la thixotropie du médium, il est extrêmement facile de superposer plusieurs couches de couleurs sans que celles-ci se mélangent. Mais le voudrait-on qu'un simple mouvement   de la brosse, reliquéfiant le médium, permettrait un fondu parfait. 


Pose et enlèvement de matière


Autres effets obtenus à la truelle  à peindre et au médium gras, par pose et/ou enlèvement de matière. Il est en effet courant de remarquer que la plupart des peintres procèdent par ajout de matière, mais fort peu pensent à la variété d'effets résultant, au contraire, d'un allègement.





Frottis au médium





Même procédure : pose et frottis de matière à gauche ; allègement ci-dessous. Remarquez l'extrême variété de matière obtenue.
Effacement partiel



















Glacis sur empâtements


Matière rembranesque,
mais coloris à la Turner

Avant notre reprise à l'émulsion, pour le plaisir, quelques gros plans de glacis posés sur des empâtements, discret hommage à l'extraordinaire matière d'un Rembrandt ou à celle, plus récemment, d'un Turner.

Vertige de la matière





A bientôt, peut-être, pour la suite de notre deuxième séance. Nos glacis au médium sont dès l'abord pris, mais non secs ; état idéal pour procéder tout aussitôt à la reprise, dans le frais, à l'émulsion. Ainsi va la technique mixte : de la séance enlevée en une seule double étape (émulsion posée sur le médium, dans le frais), au travail plus réfléchi par étapes successives, elle permet tout, sans limite technique !

Accéder ou revenir à la page "Démonstrations : Works in progress et exemples d'utilisation"

 



3 commentaires:

Philippe a dit…

Superbe, Monsieur Vibert ! Quelle démonstration ! Vos "Work in progress" sont une mine d'enseignements pour qui aime la belle matière !
Et cela paraît effectivement si simple...

Anonyme a dit…

Comme vous avez été bien inspiré de rechercher un medium digne du bel ouvrage . En fait cette technique mixte nous fait découvrir la troisième dimension en matière pictural car bien mieux que ne le ferait un faisceaux lumineux traversant un vitrail pour jouer des transparences , vos medium apportent en plus l'opalescence au travers de cette transparence ce qui nous donne une irisation de la couleur digne des meilleurs verriers de l'école de Nancy ; c'est tout simplement sublime .

Christian VIBERT a dit…

Cher anonyme...

Merci pour votre commentaire.

Il est vrai que l'association médium-émulsion permet le jeu très subtil des transparences et de l'opalescence. Elle permet aussi l'opacité, donc le contraste entre la transparence et la profondeur des ombres, et, à l'inverse, l'éclat et la mise en avant des lumières ; donc, comme vous le relevez, la structuration du tableau dans un espace à trois dimensions.

Ce désir de construction de l'œuvre picturale en profondeur a été rendu possible au tournant de la Renaissance, avec la mise au point de la perspective géométrique. Celle-ci a ensuite été perfectionnée par la fameuse perspective aérienne de Léonard de Vinci qui utilise non plus seulement la géométrie pour exprimer l'espace, mais aussi les variations de la couleur - clarté, coloration, saturation.

L'apport remarquable des médiums du type médium gras et médium Maroger, et des émulsions correspondantes, est qu'ils ajoutent à ces deux types de perspective une troisième possibilité, celle de jouer avec la matière elle-même. Un apport conséquent de médium, en accroissant la transparence de la pâte, donne la sensation que la touche posée recule. A l'inverse, l'utilisation de l'émulsion, en maintenant l'opacité et en permettant de poser des épaisseurs sans nuire à la solidité ni à la siccativité du film pictural, va faire avancer la touche picturale. Ainsi se trouve réalisée la mise en perspective de l'œuvre par un usage raisonné de la matière picturale elle-même.

On retrouve la possibilité de construire l'œuvre en trois dimensions, processus inverse de celui apparu à la fin du XIXème siècle, et au début du XXème, avec la réduction de l'espace du tableau à ses dimensions réelles que sont sa longueur et sa largeur. Ce retour à une structuration de l’œuvre en trois dimensions répond, à mon sens, parfaitement aux désirs de peintres de plus en plus nombreux, actuellement.

Christian VIBERT